Thoniers en presqu’île de Crozon, 1950-2000
Chloé
Inscription maritime Cm 2004.
A Morgat de 1928 à 1955.
Sources : Michel Perrin, Bernard Fabien, propos recueillis
par Bernard Fabien auprès de Maurice Drévillon, à Morgat
en août 2007 : Ce navire ponté à deux mâts a
été construit en 1922 au chantier naval de François
Keraudren à Camaret Il mesurait près de 18 mètres de
longueur et n'avait au départ que le vent comme seul moyen de
propulsion. Ses dimensions étaient : 54,30 tx jauge brute totale,
54,09 tx jauge brute, 27,24 tx jauge nette, 17,19 m de longueur, 6, 37 m de
largeur, 3,14 m de creux. Il fut mis à l’eau le 18 novembre 1922
(remerciements à
Michel Perrin). L’affirmation de propriété est faite
à Crozon le 1/12/1922. La soumission à Camaret-s/Mer le
20/11/1922, sous le n° 1572, brevet n°53645 remis le 27/12/1923.
Déclaration d’achat Crozon le 2/5/1924. Affirmation de
propriété Crozon le 12/1/1927 et la mise en service en 1928. Le
navire fut sorti de flotte en 1955. En 1932, quatre ans après sa mise en service, il fut
équipé d'un moteur de 25 chevaux (diesel déjà) de
marque BOLINDERS. Ce moteur, au vu de sa puissance ne pouvait pas le
propulser, il lui servait uniquement pour la manœuvre des engins de
pêche (filets,casiers etc.) ainsique pour les manœuvres
portuaires. Il fut ensuite doté d'un moteur plus puissant, de marque
DUPLEX. Le moteur BOLINDERS fut récupéré sur l'YVETTE,
un autre dundee du même âge à quelque chose près,
lors du remplacement de son propre moteur. Il avait malheureusement la
fâcheuse habitude de tomber souvent en panne. La coque de CHLOE était
doublée au coltar de couleur noire comme la totalité des
navires de pêche de la flottille. Le nom de son premier patron est Jacques PRASLON, copropriétaire,
inscrit (définitif à l’époque) du quartier
maritime de Camaret sous le numéro de matricule 1454. L’armateur
est Raoul ABADIE. Le navire est armé à Douarnenez en 1925 et
1926, puis de nouveau à Camaret à partir de 1927. A partir de
1930, son nouveau patron ou capitaine est Joseph LEBRETON, puis c’est
au tour de « Tonton » Louis LESCOP à partir de
1934. jusqu’en 1938. Il en reprend le commandement en 1945 après
la libération, car il avait été
réquisitionné par l'occupant pendant cette période ; « tonton
Louis » l'a commandé jusqu'en 1949, année au cours
de laquelle il fit construire pour son propre compte la TANTE YVONNE au
chantier d'Auguste Tertu au Fret. Il garda néanmoins le CHLOE en
exploitation, soit par lui-même soit avec son fils jusqu'en 1955, date
de sa sortie de flotte. Le navire finit ses jours sur le sillon du Fret. Il
était à l'origine doté d'une barre franche, puis
quelques années plus tard, il fut équipé d'une barre
à roue avec transmission au gouvernail par un système de
chaînes. Il était au départ doté d'un vivier (de
petite contenance) pour la pêche aux crustacés, celui-ci fut
supprimé pour permettre l'installation d'une petite chambre froide
pouvant conserver environ 10 tonnes de poissons. Il n'a jamais
été équipé de cabine ; l'équipement en
moyens de navigation se limitait au seul sextant, ce qui lui permettait de
faire un point à peu près juste par rapport au soleil (quand
celui-ci se montrait généreux) il lui indiquait le cap
uniquement dans un sens (est-ouest ou l'inverse). Quand l'absence de soleil
durait plusieurs jours, la position devenait vraiment approximative, ce qui a
été l'occasion à plusieurs reprise de retours sur des
routes hasardeuses. Il est arrivé parfois aux navires de
l'époque de toucher la terre non pas en Bretagne, mais sur les
côtes anglaises ou espagnoles. Cet état de fait a petit à
petit disparu avec l'installation des appareils radio vers les années
1945. Le CHLOE en fut équipé début 1950. Il a dès
lors été possible d'envoyer et de recevoir des nouvelles
à terre (familles,mareyeurs etc) ainsi que de « trafiquer
» sur les vacations, celles-ci ont été instaurées
journellement à heures fixes, et les familles étaient ainsi
informées des nouvelles du bord, de la météo, des
prévisions de retour à terre, etc. La radio a aussi beaucoup
amélioré les recherches des points en mer et les suivis de
routes grâce à des signaux lumineux transmis sur les postes du
bord par les stations émettrices à terre. Le CHLOE a effectué pendant sa carrière
plusieurs types de pèche, la pêche aux crustacés au
début (pas très longtemps vraisemblablement), la pèche
au thon en été bien sur, il a toujours débarqué
sa pêche à Morgat ou à Douarnenez. Il était
fréquent à l'époque qu'avant que la pèche ne soit
débarquée,le bateau reçoive la visite d'une femme de la
conserverie ; celle-ci était appelée avec respect "Madame la commissaire",
elle avait pour mission d'évaluer l'état de fraîcheur et
de conservation du poisson, ceci afin d'en fixer le prix, voire même de
refuser à la vente, partie ou totalité de la pèche. Ceci
a bien souvent provoqué des "coups de gueule" assez violents
entre le patron et "Mme la commissaire". Les campagnes de
pêche étaient plus courtes que de nos jours (deux semaines
environ) ceci à cause de la durée plus courte du temps de
conservation. Au fur et à mesure de la pèche, les poissons
étaient vidés puis pendus par la queue à des perches
horizontales fixées en forme de dômes sur des chevalets fixés
eux-même sur le pont du navire. Cette technique avait pour effet de
laisser écouler la totalité du sang et de sécher au
maximum le poisson avant la mise en chambre froide qui se faisait en
général la nuit. Le CHLOE a également pratiqué la
pèche au maquereau durant la plupart des périodes d'hiver de sa
carrière. Cette pèche se pratiquait dans la Manche. Il aurait
parait-il aussi pratiqué la pèche à la sardine le long
des côtes marocaines, il ramenait alors sa cargaison salée dans
des barils de bois, pour la livrer aux usines de Morgat et Douarnenez. Le confort à bord était bien sur un vain mot,
pas de toilettes, pas de douches. La quantité d'eau douce
embarquée ne le permettait pas (400 litres pour le voyage), elle
était réservée à la préparation de la
cuisine et du café (boisson préférée des
équipages en mer) ; la nourriture se composait de viande pour les
premiers jours de campagne, ensuite c'était le poisson
péché qui servait de base de nourriture accompagné de
pommes de terre, lard salé, beurre salé et bien sûr de
pain (celui était frais les premiers jours mais devenait rassi au bout
de quatre à cinq jours). Le rôle de cuisinier à bord et
d'homme de nettoyage des deux postes d'équipage (un à l'avant,
un à l'arrière) était celui du mousse. La nourriture
était cuite sur un fourneau à charbon de bois installé
dans le poste avant. Les jours de tempête, quand la voile provoquait
des retours de vent dans la cheminée (en tuyau de poële) il
était presque impossible de tenir dans le poste à cause de la
fumée, il fallait bien y tenir car il y avait dix personnes à
nourrir. La conservation du poisson était conditionnée par la
durée des campagnes. Il arrivait que celles-ci soient
prolongées de plusieurs jours par le manque de vent ou les
tempêtes, sur le chemin du retour, ou alors par une période de
temps orageux, néfaste à la conservation. Il est arrivé
bien des fois des cas où il a fallu balancer à l'eau la
totalité de la pèche. On imaginera aisément l'ambiance
de tristesse et de désolation au moment de rentrer à la maison
les poches vides, avec une famille à nourrir ; quand cette situation
se présentait à plusieurs reprises,cela provoquait des
situations dramatiques. Malgré tout, il fallait repartir pour la marée
suivante "bon gré, mal gré" dans l'espoir d'un avenir
plus clément ; comme disaient les marins de l'époque "on
n'a pas le choix". » Propos recueillis par Bernard FABIEN auprès d'un
témoin de cette époque, qui a eu l'amabilité et la
gentillesse de consacrer quelques heures de son temps à nous les confier.
Il s’agit de Maurice DREVILLON, patron-pêcheur à la
retraite, qui a embarqué comme mousse à bord du CHLOE en 1945
à l'age de 15 ans. Il a ensuite navigué sur plusieurs navires
de pêche morgatois, avant de prendre le commandement du KARREC VEN puis
celui du St POL ROUX. Il vit actuellement une retraite bien
méritée. Son passe-temps favori à la belle saison est
(nous n'en douterons pas une seconde) la pêche en baie de Douarnenez et
au delà à bord de son canot. Merci à vous Maurice, que
votre récit serve d'exemple et de réflexion à nous qui
vivons dans un monde de tous les jours tout à fait différent de
celui dans lequel ont vécu ces marins, bien souvent au péril de
leur vie. Merci également à Bernard Fabien pour avoir recueilli
votre précieux témoignage, ainsi qu’à Michel
Perrin, historien, pour ses nombreuses précisions dont je le remercie.
Collection
Bernard Fabien et Thomas Widemann Vers 1940. Le
grand thonier Chloé, plus ancien membre de la flottille
identifié, la coque recouverte du coltar noir qui assurait
l’étanchéité des navires depuis le début du
XXe siècle, au môle de pêche de Morgat, un bel
après-midi de début de saison d’été. Notez
l’immense bout-dehors d’étrave, le volume et
l’épaisseur des voiles même ferlées sur les
bômes. Le petit cotre au centre du cliché est le
« Vole-au-vent ». Mai-juin, v. 1950-1952 – Bénédiction de la mer, Tante-Yvonne (Cm
2909) accoste et débarque les familles venues participer à la
cérémonie à l’éxtrêmité du
môle. Un navire du quartier maritime de Douarnenez le suit, grand
mât amené, posé sur la passerelle. Le grand thonier Reder-ar-Moriou (Cm 2704), de couleur blanche, liston sombre,
est à quai au vieux môle. Derrière lui, Crave Bihen (Au
2298) se rend sur le lieu de cérémonie. Mai-juin, v. 1950-1952 – Bénédiction de la mer (détail de
la photogeaphie précédente). Chaque navire de la flottille
transporte les familles au lieu du lancer des couronnes et gerbes de fleurs en
mer, dans l’avant-port, où parmi trois thoniers à tangons
blancs, dont l’un de Douarnenez à coque blanche et
arrière canoë, on distingue la grande silhouette de Chloé
(Cm 3005). Dernière
modification le 9 janvier 2008 Remarques,
suggestions: thoniers.morgat@free.fr |